Opioïdes, le rôle fondamental des pharmaciens
ZOUG - Quelques jours après la cérémonie des Oscars et la mort par overdose d'héroïne début février de l'acteur américain Philip Seymour Hoffmann, lui-même oscarisé en 2006, l'Amérique est toujours sous le choc et découvre le lien entre la prescription d'opioïdes et la consommation d'héroïne.
Le 28 février, les autorités de la ville de New York ont affirmé dans un rapport que l'acteur est mort d'un mélange d'héroïne, cocaïne, amphétamines et benzodiazépines, un cocktail extrêmement dangereux. La consommation d'héroïne et de stupéfiants est un véritable fléau pour de nombreuses familles américaines, comme on le verra à travers une histoire très triste à la fin de cet article.
Aux Etats-Unis, la mort de ce grand acteur américain est un peu l'arbre qui cache la forêt. Le nombre de morts par overdose d'héroïne a augmenté ces 5 dernières années. Dans l'état du Massachusetts, 185 personnes sont mortes par overdose depuis novembre 2013, comme l'affirme la police de l'état (State Police) dans un communiqué.
En Suisse il n'existe pas, à notre avis, de statistiques fiables sur le nombre de décès par overdose d'héroïne. Comme l'affirme Addiction Suisse sur son site Internet, on estime à environ 20'000 le nombre d'héroïnomanes en Suisse (année 2002). En 2008, 16'568 personnes ont reçu un traitement à la méthadone, un traitement de substitution à l’héroïne.
L'héroïne
L'héroïne appartient à la famille des opioïdes, des substances extraites de l’opium (pavot). Il s'agit d'un opiacé semi-synthétique, c'est-à-dire qui nécessite une transformation chimique en laboratoire depuis l'opium. L'héroïne était vendue comme médicament au début du siècle passé, ce produit a ensuite été totalement interdit en Suisse, seulement en 1975. L'héroïne agit comme la morphine, mais de façon plus intense, elle parvient plus rapidement dans les récepteurs aux opiacés du cerveau. Elle a notamment été interdite en Suisse à cause de son très fort pouvoir de dépendance.
Le lien entre opioïdes et héroïne aux Etats-Unis
On sait que la morphine peut en particulier provoquer de l'euphorie, ce qui peut mener à une dépendance. Il existe plusieurs autres effets secondaires parfois graves comme une dépression respiratoire.
Selon des médecins américains, l'augmentation de la consommation d'héroïne avec parfois des overdoses serait en partie causée par une élévation du prix et une restriction accrue des opioïdes comme la morphine et ses dérivés aux Etats-Unis. Ces changements politiques auraient favorisé la consommation d'héroïne chez des personnes dépendantes aux opiacés vendus en pharmacie. Autrement dit, si le marché légal se voit plus restrictif, on observe de façon quasi mécanique une augmentation de la consommation au marché noir.
Le rôle des pharmaciens
En Suisse, nous n'avons pas pris connaissance d'une augmentation par overdose d'héroïne ainsi que d'autres substances toxiques et c'est peut-être grâce à une très bonne prise en charge des stupéfiants par les professionnels de santé.
Les pharmaciens ont, avec les médecins, un rôle fondamental et une grande responsabilité. Cette fonction n'est d'ailleurs pas toujours bien valorisée par le grand public. En effet, le pharmacien est responsable de la distribution de ces médicaments à fort pouvoir de dépendance et doit faire une comptabilité stricte de l'entrée et de la sortie de ces stupéfiants, c'est une sorte de garde-fou et un excellent service rendu à la société. Souvent il contacte le médecin pour vérifier l'ordonnance, la posologie et savoir s'il ne s'agit pas d'un faux (fausse ordonnance par exemple).
Tout ce travail a pour conséquence une meilleure prise en charge des stupéfiants. Le but étant de prévenir tout abus. Cela explique probablement pourquoi la Suisse compte moins de décès par overdose que les Etats-Unis. Le pharmacien exerce aussi un rôle-clé en aval en délivrant de la méthadone aux personnes toxicomanes.
Il faut aussi relever que la Suisse a choisi une politique de lutte contre la drogue moins restrictive que les Etats-Unis. La Suisse délivre de l'héroïne sous forme de prescription dans des centres spécialisés, fin 2008 plus de 1000 personnes recevaient un tel traitement.
La réglementation sur l'usage des opioïdes se fait au niveau international (Nations Unies). L'OMS émet des recommandations sur l'utilisation des opioïdes. Chaque pays a ensuite une certaine liberté dans l'application pratique de la loi sur les stupéfiants.
Opioïdes et risque de dépendance
Les pharmaciens, les médecins et la population en général doivent véritablement prendre en compte le risque très élevé de dépendance avec les dérivés de la morphine. Nous ne disposons pas de statistiques exactes sur ce risque de dépendance, c'est-à-dire sur 100 patients combien vont avoir une addiction, mais on sait qu'il est élevé. On peut clairement affirmer qu'il est important d'utiliser ces médicaments de la famille des opiacés seulement si aucune alternative n'est possible. Une bonne formation continue dans la lutte et la gestion de la douleur, autant des pharmaciens et des médecins, est aussi une excellente recommandation pour la santé publique.
Triste histoire
Comme le raconte l'un des plus grands médias américain CBS dans un article sur son site internet, un jeune homme sans problème pendant son enfance provenant d'une famille de classe moyenne (aux Etats-Unis à comprendre comme la bourgeoisie) est décédé d'une overdose d'héroïne à l'âge de 22 ans. Après une blessure il voulait rejouer au hockey sur glace et a pris le médicament Percocet (oxycodone, de la famille des opioïdes) pour calmer des douleurs. Selon sa mère qui témoignait dans l'article, en 4 ans, son fils a passé d'un médicament stupéfiant en vente en pharmacie à l'héroïne. Elle ajoute aussi que jusqu'à sa mort, elle n'en avait jamais parlé à personne, sauf à sa famille proche, car cette toxicomanie reste un grand tabou dans notre société.
Malgré l'envoi dans des centres de réhabilitation, cela n'a pas suffi. Un cercle vicieux s'est installé et ce jeune homme a passé par des hauts et des bas, c'est-à-dire par des phases de désintoxication et de rechute.
Cette histoire nous montre l'importance du pharmacien, du médecin et de l'entourage dans la prise en charge et le suivi des médicaments opioïdes. Le pharmacien a clairement une grande responsabilité, ce qui lui donne des droits et des devoirs dans ce combat de tous les jours pour les patients sous opioïdes. Ce serait aussi bien que la société lui reconnaisse et lui crédite ce service rendu essentiel.
Lire aussi : De l'héroïne coupée a provoqué de nombreux morts aux Etats-Unis (sur Creapharma.fr)
Le 7 mars 2014. Par Xavier Gruffat, Pharmacien. Sources: CBSnews, Addiction Suisse, Folha de S.Paulo