Interview avec Thomas Bläsi, un pharmacien d’officine candidat au Conseil National

Interview avec Thomas Bläsi, un pharmacien d’officine candidat au Conseil National


GENÈVE - Le pharmacien Thomas Bläsi, propriétaire d’une pharmacie à Genève, se porte candidat pour l’UDC au Conseil National pour représenter le canton de Genève. Très impliqué en politique, il a été élu à l’assemblée constituante genevoise en 2008, puis au conseil municipal de la ville en 2011 et 2015, il est député genevois au Grand Conseil depuis 2013, où il développe la politique de la Santé et du Social. Pharmapro.ch l’a interrogé dans sa pharmacie à Genève afin de mieux connaître ses projets politiques, notamment s’il est élu le 20 octobre 2019.

Pharmapro.ch - M. Bläsi, vous l’êtes l’un des rares pharmaciens romands à être engagé en politique en visant ce niveau de pouvoir (Conseil National), comment l’expliquez-vous ?
Thomas Bläsi - A l’heure actuelle il est très difficile pour les pharmaciens de s’impliquer en politique. Notamment car la marge des médicaments ne couvre plus les frais généraux. Une activité politique n’est clairement pas rentable en tout cas au niveau communal ou cantonal (dans le législatif). De plus, comme la profession est à majorité féminine, sa représentation est prétéritée par sa faible présence dans le monde politique. Une amélioration de l’égalité homme-femme ne peut être que favorable à toute la profession.

Vous être propriétaire d’une pharmacie à Genève, combien de temps vous prend cette campagne pour le National ainsi que votre mandat de député au Grand Conseil genevois ? La charge de travail n’est-elle pas un peu trop élevée ?
Je travaille à environ 100% en pharmacie et 50% pour mon mandat politique. La campagne au National prend du temps avec des interviews ou visites sur le terrain comme sur des marchés. La charge de travail est donc clairement élevée.

Une fois élu, qu’aimeriez-vous améliorer pour le métier de pharmacien ? Avez-vous déjà certains projets concrets ?
On devrait arriver à faire une répartition des coûts (de la santé) pour faire en sorte que le pharmacien voit son rôle reconnu et qu’il soit économiquement valorisé. Ou on autorise les importations parallèles pour les pharmacies, cela devrait renforcer le rôle des pharmaciens indépendants et casser les regroupements verticaux. Cela devrait nous aider à redevenir compétitif. Autrement dit, sortir d’une logique ultra-commerciale et revenir au rôle du pharmacien de « couteau suisse » de la santé. De plus, revoir le système de la LAMal, qui a montré ses limites en terme de solidarité et d’économicité. Finalement, repenser le problème des coûts des soins non maitrisés.

Aimeriez-vous rejoindre la puissante Commission de la santé du Conseil National (ndlr. Cette commission qui inclut 25 membres du Conseil national joue un rôle très important au niveau de la politique de la santé suisse) ?
Bien sûr que j’aimerais rejoindre cette Commission de la santé du National. Cela dit, c’est difficile pour un nouvel élu d’y entrer immédiatement. Comme il y a beaucoup de médecins, il est probable qu’ils ne verraient pas d’un bon œil l’entrée d’un pharmacien dans cette commission. Pourtant, ce serait bien d’en avoir un. J’ai aussi pris l’engagement préalable de ne pas entrer dans un conseil d’administration de l’industrie pharmaceutique ou les caisses maladie, afin de garder mon indépendance. Etant déjà membre du comité directeur de l’ASSUAS (Association suisse des assurés) mon engagement dans cette commission ne pourrait se comprendre que dans l’intérêt des patients.

Comment expliquez-vous que les pharmaciens et même les médecins soient si peu représentés à Berne (Assemblée nationale), la législature actuelle compte un nombre très élevé de juristes, avocats, entrepreneurs, paysans ou même journalistes mais peu de professionnels de la santé ?
Selon moi, les médecins sont déjà très représentés mais les pharmaciens pas du tout. Ceci s’explique sans doute par la puissance économique que représente aujourd’hui le monde médical et le très faible impact des pharmaciens d’officines, représentant seulement environ 5% des frais totaux de la santé.

Que dites-vous aux médecins qui pensent que les pharmaciens « empiètent toujours plus sur leurs plates-bandes » en diagnostiquant certaines maladies chroniques ? Autrement dit, avec certaines innovations provenant notamment de caisses maladie comme le Groupe Mutuel depuis août 2019 qui essaie de donner plus de pouvoir aux pharmaciens, est-ce qu’il n’y a pas un risque de conflit avec les médecins, qui sont bien plus nombreux que nous pharmaciens ?
Ce propos des médecins me paraît déplacé dans un pays comme la Suisse qui reste le seul à connaître le métier de pro-pharmaciens (ndlr. médecins autorisés à vendre des médicaments) en Suisse allemande. Même dans les cantons romands où la pro-pharmacie est interdite les médecins continuent en toute impunité à prescrire et délivrer pour environ 30 millions de francs de médicaments par année seulement dans le canton de Genève. Quant aux prérogatives que les pharmaciens « empièteraient sur les platesbandes » des médecins, ils n’en sont pas demandeurs et ce ne sont que des prérogatives n’ayant aucun intérêt économique. Le vrai rôle du pharmacien est le devoir de refus de vente, à comprendre dans un sens éthique (par exemple si un client vient acheter de la codéine non pas pour soigner une toux mais comme produit addictif, le pharmacien doit savoir dire non).

Pharmapro.ch est la principale plateforme d’offres d’emploi en Suisse et nous avons constaté que le marché du travail est de plus en tendu, cela signifie que les pharmacies ont toujours plus de peine à trouver des pharmaciens et même parfois des assistantes en pharmacie. Avez-vous une solution pour détendre le marché du travail et soulager certaines pharmacies notamment situées dans des régions périphériques (ex. montagnes, campagnes). Faut-il par exemple former plus de pharmaciens ?
Aujourd’hui la Suisse aurait intérêt à former plus de pharmaciens et d’assistantes en pharmacie, mais comment faire cela lorsque le salaire horaire moyen d’un médecin à Genève se situe à 260 francs l’heure, d’une infirmière à 129 francs alors que celui d’un pharmacien d’officine à environ 45 francs et une assistante à 30 francs. Cette relativement faible rémunération des pharmaciens et assistantes en pharmacie en comparaison d’autres professions de la santé a tendance à attirer plus des ressortissant européens que des résidents suisses. On doit arriver à revaloriser la profession de pharmacien (h/f) et d’assistante en pharmacie (h/f).

Pour revenir plus à votre vie de pharmacien propriétaire d’officine indépendante à Genève, vu de l’extérieur (Vaud par exemple) on a l’impression que Genève - y compris la ville - a encore un nombre relativement élevé de pharmacies indépendantes. Comment expliquez-vous cette différence par rapport à une ville ou région presque comparable en termes de population comme Lausanne ?
Les pharmacies indépendantes dans le canton de Genève sont plutôt en décroissance comme dans le reste de la Suisse. Mais leur résistance en ayant créé des groupements d’achat ou une association de pharmaciens indépendants leur permet de mieux résister qu’ailleurs en Suisse. Les pharmacies indépendantes voyant leur chiffre d’affaires baisser ne sont aussi plus des cibles prioritaires pour les chaînes de pharmacie. Finalement, le nombre de mini-chaînes qui opèrent sur le canton peut aussi expliquer cet état de fait.

Pour conclure cette interview sur une note positive, j’aimerais rappeler qu’heureusement que la population a toujours su garder sa confiance dans le métier de pharmacien qui se profile régulièrement à la 3ème ou 4ème place des professions inspirant le plus la confiance des citoyens.

Remarque : Pharmapro.ch a interrogé Thomas Bläsi, car il est à notre connaissance l’un des rares pharmaciens à se porter candidat au Conseil National pour un canton romand. Nous espérons pouvoir encore interroger d’ici le 20 octobre 2019 une ou un candidat/e d’un autre parti. N’hésitez pas à nous contacter ([email protected]) si vous connaissez un pharmacien (h/f) romand qui se porte candidat à l’Assemblée nationale le 20 octobre 2019. Pharmapro.ch est un site neutre au niveau politique et attaché à la démocratie.

Le 10 septembre 2019. Interview réalisée le vendredi 6 septembre 2019 à Genève par Xavier Gruffat (pharmacien) pour Pharmapro.ch.

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