Interview avec un pharmacien qui est aussi ambulancier


ARTICLE POUR PROFESSIONNELS

LAUSANNE - M. Paus est pharmacien de formation mais dispose aussi d'une autre profession. Pour financer ses études de pharmacie et son doctorat, il a travaillé dans différents services d’ambulances pour finir par s’occuper de la formation continue des ambulanciers. Ayant les deux diplômes, il espère faire évoluer ces deux professions qu’il estime être complémentaires.

1. Quelle est la première chose que vous faites en arrivant au travail ?

Cela dépend de l’activité de la journée - si je suis en équipe (ambulance ou SMUR) ou si je suis au bureau.

Lorsque je suis en intervention (ambulance ou SMUR), nous débutons toujours la journée par contrôler le véhicule (matériel + désinfection), afin d’être prêts pour toute intervention. Je prends ensuite le café où je profite pour vérifier, valider les rapports des interventions précédentes. Cela ne dure généralement pas très longtemps avant que le bip sonne… sachant que notre service a, en moyenne, 7500 interventions par année.

En dehors des interventions, j’occupe également un poste de responsable de formation où en plus de préparer ou donner des cours, je représente le service en termes de médicaments, de formation. J’ai également un mandat auprès de la Confédération pour le suivi des plans catastrophe. L’idée est d’amener les compétences métiers, expliquer pourquoi on fait certaines choses, les effets secondaires des médicaments, les moyens à disposition, fédérer les gens. C’est notre médecin conseil, en accord avec le Service de la santé publique, qui décide de l’évolution des actes médicaux délégués. Mais en même temps, l’information remonte depuis le terrain, car ce dernier évolue et ainsi nous pouvons faire évoluer les prises en charge ambulancières pour le bien du patient. Je débute ces journées en prenant le café avec les équipes, avant de préparer les cours/stage, discuter de l’application des algorithmes ou tirer les statistiques des différentes interventions.

2. Quel est votre parcours professionnel (études, postes occupés) en quelques mots?

J’ai étudié la pharmacie à Genève, puis fait une thèse sur les psychotropes en pharmacologie. Afin de financer mes études, j’ai travaillé comme ambulancier. A l’époque, cela n’était pas encore considéré comme une profession. J’ai pu participer à sa professionnalisation et obtenir mon diplôme d’ambulancier professionnel ES.

Ma connaissance du médicament m’a d’ailleurs valu plusieurs surnoms de la part de mes collègues comme « Compendium » ou « Tonton Molécule ».

A la fin de ma thèse, en 2007, le poste de responsable de formation s’est libéré pour le service d’ambulance au sein de la ville de Lausanne. Et depuis, j’occupe ce poste.

3. Qu'aimez-vous dans le métier de pharmacien ?

J’étais attiré par la chimie et la pharmacologie, c’est-à-dire l’action du médicament sur le corps humain. Ce qui m’intéressait, c’était la pharmacie des années 20, le laboratoire, la chimie, la galénique, faire des pommades. Mais avec l’arrivée des Good Manufacturing Practice (GMP), l’activité de laboratoire est devenue tellement contraignante, qu’elle est devenue partie congrue en officine.

4. Qu’aimez-vous dans le métier d’ambulancier ?

J’apprécie le contact humain et de pouvoir soulager une personne. J’apprécie également le fait que l’on a immédiatement le résultat de notre prise en charge. Etre ambulancier, c’est avoir une systématique dans l’approche et l’évaluation du patient. J’aimerais apporter cette approche au pharmacien. Lors de ces prises en charge, l’ambulancier peut être exposé à des situations magnifiques (p.ex. un accouchement à domicile ou un patient qui reprend un pouls après une réanimation), mais également à des situations très dures psychologiquement (je garderai ces situations pour moi). Mais je ne suis sur le terrain que durant 20% de mon activité professionnelle et cela me protège. Il faudra voir comment proposer des reconversions aux ambulanciers qui ont plus de 50 ans, car c’est un métier très prenant, très exigeant autant physiquement que psychologiquement.

5. Que pensez-vous de cette phrase : « Le client est roi »

Je n’adhère pas. Pour moi, la base est le respect. Et souvent, en officine, cela polémique souvent sur le prix du médicament toujours considéré comme trop cher.

Pour l’ambulancier, il s’agit de tout mettre en place pour soulager le patient, le stabiliser puis le transporter. Il ne faut pas oublier la famille, l’entourage. Il est également nécessaire de respecter la volonté du patient, concernant les thérapies entreprises, voire quelles sont ses volontés face à la mort (directives anticipées). On constate de plus en plus de violence verbale (notamment la nuit) et il arrive parfois, que nous soyons insultés… En urgence, c’est un besoin, on ne peut pas parler de patient-roi.

6. Sentez-vous une dualité entre ces deux métiers ? Sinon, sont-ils complémentaires ?

Pour moi, le pharmacien et l’ambulancier sont complémentaires. Ils font partie du pré-hospitalier, leur plateau technique est limité. La prise en charge définitive se fait à l’hôpital.

Il faut que le pharmacien réfléchisse en termes de « plateau technique » et développe des prestations dans ce sens. Notamment en termes de triage. Il faut être systématique, avoir le matériel afin de pouvoir prendre en charge en attendant les secours. Le pharmacien a une immense valeur ajoutée. Il doit également plus protocoler ses gestes et mesures. Il ne doit surtout pas hésiter à appeler le 144.

7. Qu’est-ce que le pharmacien peut apporter au monde de l’urgence ?

Les connaissances en pharmacologie, les effets secondaires, la connaissance de la chaîne du froid (durée de conservation d’un médicament réfrigéré à température ambiante).

8. Dans quels domaines le pharmacien peut-il être utile pour la société, autrement dit, quelle est la valeur ajoutée du pharmacien en 2016 ?

Orientation et triage : pharmaSuisse a raison. Le pharmacien fait un bilan des informations données par le patient, puis il oriente.

Il manque des médecins. Or, le pharmacien n’est pas qu’un simple vendeur, il est capable de répondre à de nombreuses questions sans avoir besoin de prendre un rendez-vous. Le pharmacien ne prend pas la place du médecin, il peut devenir ce pont entre le patient et le médecin. On doit travailler ensemble.

9. Avez-vous un rêve, une ambition professionnelle ?

J’aimerais augmenter la collaboration entre les pharmaciens et le milieu hospitalier, qu’ils deviennent de vrais partenaires.

Il y a beaucoup à faire dans le triage, on peut réellement désencombrer les cabinets. Cela diminuerait les coûts de la santé. Souvent, les médecins manquent de temps.

J’aimerais que le pharmacien regagne ses lettres de noblesses. Le pharmacien doit davantage se développer, augmenter ses compétences, ce sont les impératifs de la santé qui ont évolué.

10. Quel est le plus grand défi (challenge) de la profession ?

La population est vieillissante et souffre souvent de maladies chroniques. Il faut développer des services, montrer l’immense valeur ajoutée de la profession, à coût limité. Il est nécessaire de se faire payer pour de nouvelles prestations. Rappelons la grande disponibilité du pharmacien : il est ouvert sur la rue, sans prise de rendez-vous. Le pharmacien doit repenser son business plan. Il peut par exemple avoir une partie de son business où il n’est pas nécessaire d’avoir de rendez-vous et une autre partie où il faudra prendre rendez-vous. Les gens ont besoin d’une relation de confiance. En général, cela se fait avec un ou deux pharmaciens dans l’équipe. Ils ne veulent pas être pris en charge par 25 personnes différentes, d’où l’idée de la prise de rendez-vous. De plus, les maladies sont souvent dégénératives et si le patient est suivi par une ou deux personnes au maximum, on peut voir l’évolution.

Le pharmacien doit se réinventer, sortir des sentiers battus.

11. Comment faire pour améliorer la relation et collaboration entre pharmaciens, médecins et autres acteurs du système de santé ?

Il faut réapprendre à se connaître, pas seulement au travers des cercles de qualité. C’est une prérogative de l’un comme de l’autre. Je n’ai pas la réponse du comment, pour moi, il faut du respect. Et surtout se dire que l’autre ne va pas prendre sa place. Il faut l’accepter, car on est différent et complémentaire.

12. Comment lutter contre la baisse continuelle du prix des médicaments sur ordonnance décidée par le Conseil Fédéral. De quels moyens concrets disposent les pharmaciens et leurs associations professionnelles ?

Le pharmacien doit arrêter de se focaliser sur le médicament, la parapharmacie, l’OTC. Le pharmacien doit développer de nouvelles compétences, doit se réinventer.

Prenons pour exemple la vraie prise en charge d’un patient diabétique. On pourrait se demander qu’est-ce que le médecin ne fait pas forcément. Le pharmacien peut se positionner comme tête de pont. On enverra alors le cas au médecin où il y a une vraie plus-value.

Il y a aussi les chimiothérapies, la sclérose en plaques, Parkinson, Alzheimer. On peut travailler avec les infirmières (souvent employées par les firmes pharmaceutiques) dans la gestion du médicament (effets secondaires, adhésion thérapeutique, etc.). Enfin, on peut également accompagner les familles pour tout ce qui est adhésion thérapeutique.

13. Finalement, êtes-vous plutôt thé ou café ?

Café ou thé, même combat, cela reste des méthylxanthines ! Je suis plutôt chocolat (qui est également une méthylxanthine…), mais également pour un petit café le matin !

En savoir plus sur Erik Paus

Formateur au CAP : https://www.pharmacap.ch/fr/qui_sommes-nous_/nos_formateurs.html

Autres articles mentionnant Erik Paus

24heures, Ebola: http://www.24heures.ch/vaud-regions/lausanne-region/metier-risques-ebola/story/12140279

Journal Pharmacieplus, Urgences Santé, sur le terrain, page 11: http://www.pharmacieplus.ch/files/live/sites/b2cpharmacieplus/files/contributed/les-infos-sante/P%2B_mag_%C3%A9t%C3%A9_2014_FR_iPad2.pdf

Formation HPCI, hygiène sur le terrain: http://www.hpci.ch/files/formation/forum/hh_forum1012-1.pdf

Interview réalisée par Mme Van Nguyen (pharmacienne) entre septembre et octobre 2016. Le texte a été légèrement édité par Xavier Gruffat (pharmacien, co-propriétaire de Pharmapro Sàrl). 


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