Interview avec un couple de pharmaciens valaisans


ARTICLE POUR PROFESSIONNELS 
Domaine: management

En ce début 2017, nous vous présentons non pas un, mais deux pharmaciens, plus précisément un couple de pharmaciens dynamiques et engagés, Anne (AVR) et Jean-Boris von Roten (JBVR). Ils sont propriétaires et responsables de deux pharmacies à Fully, ainsi que d’un laboratoire.

1. Quel est votre parcours professionnel (études, postes occupés) en quelques mots ?

Nous avons fini ensemble à Genève en 2000. J’ai fait tout mon cursus à Genève, tandis qu’Anne a commencé à Fribourg et voulait continuer à Berne. Finalement, à cause du regroupement des écoles de pharmacie, elle a fait sa 3ème année à Lausanne et fini son cursus à Genève.

AVR : J’ai fait mon stage à Romont, à la pharmacie de la Tête Noire1. Ce stage était très formateur. Ensuite, j’ai fait plusieurs remplacements, à Genève d’abord, puis en Valais où j’ai pu acquérir une bonne expérience, observer différentes manières de travailler.     

JBVR : Nous étions la dernière volée à encore pouvoir faire notre stage en 3ème année et faire des remplacements par la suite. Le mien s’est déroulé à Bernex. J’ai toujours voulu faire une thèse, mais j’ai été absorbé par mon « imprégnation familiale de pharmaciens » qui m’a ramené à l’officine. J’ai commencé à travailler à la pharmacie de Miremont2 chez un ami pharmacien avec lequel nous avons fait nos études, jusqu’en 2003. Nous sommes ensuite retournés en Valais où j’ai pris une gérance, puis, en 2010, nous avons repris la pharmacie familiale. Je n’ai pas commencé ma thèse, mais il y a en moi ce profond besoin de ne pas me cantonner à l’officine seulement. Je ne considère pas que l’officine ne soit pas un domaine riche, mais j’ai un besoin profond de m’investir également ailleurs, raison pour laquelle j’ai rejoint Pharmavalais par exemple.

2. Pouvez-vous nous parler de l’histoire de votre pharmacie3 ?

JBVR : Mon grand-père a ouvert la pharmacie familiale en 1946. Il a pallié en quelque sorte à l’absence de médecins dans la région en faisant des prestations qui sont maintenant reconnues pour la profession. Chez les von Roten, on vaccine depuis 1946 par exemple. Dès 1981, mon père reprend le flambeau. Il a à cœur la prise en charge pharmaceutique du patient. De plus, il perpétue le développement du laboratoire et crée de nombreuses formules magistrales.

C’est en 2011 qu’Anne et moi reprenons les rênes de la pharmacie et ouvrons un deuxième site à Fully dans le Centre de la Migros. Puis, fin 2016, nous déplaçons la pharmacie du village.

3. Qu'aimez-vous dans le métier de pharmacien ?

La diversité des situations et nous pensons qu’actuellement notre métier est « redevenu »pour nous intéressant. Nous espérons que nous connaîtrons le « virage de pharmacien fournissant les médicaments et vendeur, au pharmacien prestataire avec plus de rôle dans la santé». Avec la nouvelle LPmed ainsi que les nouvelles directives, nous espérons pouvoir vivre pleinement les nouveaux défis. Par ailleurs, l’accès étant facile, nous trouvons intéressant de répondre aux situations et une clientèle très différentes. Pour cela nous essayons de donner des réponses « professionnelles », avec des connaissances actualisées. Pour cela, nous trouvons que notre société faîtière a commencé à mettre en place des formations continues de qualité. Le pharmacien a le potentiel de faire beaucoup de prestations.

JBVR : J’ai énormément prôné le projet NetCare de pharmaSuisse par exemple (triage par arbre décisionnel et délivrance du pharmacien de médicaments selon les guides-lines). Car cette démarche  nous permet de prendre en charge ou de répondre à de nombreuses situations de comptoirs de manière appropriée et étayée. Il est clair que ça implique de la responsabilité et un changement du pharmacien et de son équipe dans le suivi et la prise en charge du client. Etant dans un village, nous avons à cœur de nous investir dans notre rôle de prévention, d’aide à l’adhésion du traitement et  répondre aux questions de santé de la population.

JBVR : De plus, cela représente le besoin dans notre région qui subit une certaine pénurie de médecins. Il me paraît important que le pharmacien joue le rôle d’interface professionnelle pour les besoins basiques en matière de santé. En outre, sa grande force est son accessibilité à bas seuil.

4. Selon les statistiques, 1 pharmacie sur 3 ferme par manque de rentabilité. Or, vous venez de déménager votre 2ème pharmacie. Quel est le secret de votre succès ?

Il est vrai que la situation économique des pharmacies est difficile. Nous pensons que ce n’est pas du succès mais une opportunité …qui s’est présentée et que nous avons pu prendre au bond… Nous hésitions à priori aussi de fermer le site du village (et nous rentrerions dans les statistiques…).  Par contre, nous profitons de l’expansion du village. Nous comptons 9000 habitants et les nouveaux défis me stimulent car j’aimerais encore défendre une profession libérale, indépendante.

JBVR : Je pense que mes convictions et implications m’ont permis d’ouvrir dans le Centre-Migros, le laboratoire et dernièrement de déménager la pharmacie du village.

5. Vous êtes co-président de Pharmavalais. Pourquoi étudier la pharmacie de nos jours ? Que diriez-vous à un jeune étudiant intéressé par la pharmacie ?

JBVR : je lui dirais : Si tu es entrepreneur, ne fais pas pharmacie. Mais si tu es orienté par la dimension socio-médicale, la pharmacie d’aujourd’hui t’éclatera.

JBVR : Il ne faut plus penser en termes d’expert en médicaments, mais penser en termes de situation. Il faut partir du patient et remonter vers le médicament. Du moment où on pense « clinique », on conseillera le meilleur médicament. Les listes A, B, C sont dorénavant dépassées. Pensons à un patient souffrant d’insuffisance cardiaque, il sera plus adapté de lui donner du Dafalgan® 1g (Liste B) que de l’Algifor® 400mg (Liste D) .Le pharmacien est à même de conseiller les médicaments, de donner le bon produit à la bonne personne. 

6. Que pensez-vous des nouvelles prestations des pharmaciens ? Quelles autres prestations vous viendraient en tête ?

Il existe une prestation conventionnelle peu mise en avant, c’est la prolongation de traitement. C’est au-delà d’un acte logistique, c’est bien une prestation pharmaceutique. Car nous avons en face de nous un patient et le pharmacien doit juger de la stabilité de son traitement et de la pertinence de le renvoyer d’un point de vue médical (et non juste pour faire signer l’avance par la secrétaire médicale) chez le médecin !

Nous pourrions imaginer que la prestation aille plus loin : un exemple type est le patient hypertendu. Il existe des études démontrant que dans les réseaux où il y avait un pharmacien, le patient pouvait abaisser sa pression artérielle de 8mmHg et dans certains pays le pharmacien adapte le traitement antihypertenseur… On valorise ainsi l’acte de renouvellement par des entretiens, des mesures, des valeurs. Il y a d’autres maladies chroniques où le pharmacien pourrait intervenir, comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires (par exemple suivi du Sintrom®). Et la prestation de renouvellement serait rémunérée dans ce sens…

Du moment où il existe des études qui prouvent le bien-fondé d’un acte, il faut le transformer en prestation. Car là, il y a une opinion pharmaceutique qui rentre en compte, nous pouvons alors dans ce contexte prétendre à une rémunération.

7. Comment un pharmacien peut-il encore se démarquer de la concurrence ? Alors que Mediservice, Zur Rose, les médecins SD menacent ? 

C’est un gros problème de nos jours. Si on considère la pharmacie comme seulement un magasin de vente au détail, on voit qu’il faut être bien placé, par exemple dans une gare, un centre, cabinet de groupe et être puissant en logistiques et volume d’achats, sinon comme d’autres magasins, il faut pouvoir aussi se profiler et offrir d’autres services. De nos jours, dans notre modèle socio-médico-économique, on ne peut plus accepter d’investir dans des études universitaires aussi pointues pour n’être que des logisticiens. Car aujourd’hui, avec Internet, la poste et même un code-barre, un code QR font moins d’erreurs qu’un humain. C’est fondamental d’être un prestataire où la valeur ajoutée du pharmacien réside dans l’aspect clinique et le dialogue avec les patients : cela est difficilement numérisable. Le pharmacien doit devenir clinicien, prestataire, fournisseur de soins. Le pharmacien doit donner des solutions en utilisant différents outils : Netcare, les PMC etc. Il doit voir les réseaux qu’il a à disposition et sortir de son rôle de distributeur. Car comme logisticien, on ne sert à rien dans le système de santé.

8. Dans quel domaine le pharmacien peut-il être utile pour la société, autrement dit quelle est la valeur ajoutée du pharmacien en 2017 ?

Dans certaines régions de la Suisse, Il y a une pénurie de médecins. A Fully par exemple, il y a 3,5 médecins pour 9'000 habitants. La valeur ajoutée du pharmacien, c’est sa capacité d’évaluer le patient en tenant compte de l’environnement, de sa famille etc. Ce qu’un ordinateur ne saura pas faire. A qui ai-je affaire ? Son ethnicité, ses croyances,… On amène la connaissance et la curiosité du patient. C’est cela notre plus-value clinique. 

Il faut arrêter de penser à travers le médicament. Il faut partir du patient et aller vers le médicament, cela vient naturellement.

9. Comment faire pour améliorer la relation et collaboration entre pharmaciens, médecins et autres acteurs du système de santé ?

Dans un système commercial et ultra concurrentiel, il est plus difficile d’être soudés entre pharmaciens, comme peuvent l’être les médecins quand il s’agit de défendre certains intérêts. Mais dans le futur, avec une vision plus clinique, il pourrait y avoir plus de connivence entre les pharmaciens.

Quant aux relations entre pharmaciens et médecins, il est nécessaire de sortir de la pharmacie. Cependant, il reste un paramètre important : le médecin. Ce dernier doit changer de mentalité et  de ne pas  prendre les pharmaciens soit pour des concurrents soit pour des vendeurs de parfums. Cela dépend finalement assez peu de nous.

10. Finalement, êtes-vous plutôt thé ou café ?

JBVR : Anne est plutôt thé et moi café

  1. Pharmacie de la Tête Noire, Romont www.tetenoire.ch
  2. Pharmacie de Miremont à Champel www.pharmaciedemiremont.ch/fr
  3. www.pharmacie-vonroten.ch

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Assistant/e en pharmacie, Romont

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