Pharmacie sur demande, étude intéressante du MIT, la pharmacie du futur ?


ARTICLE POUR PROFESSIONNELS 
Domaine : science
Mots-clés
 : industrie pharmaceutique, chimie, innovation
Niveau de difficulté de l’article : moyenne (sur 3 niveaux : facile, moyenne et difficile)

CAMBRIDGE (MASSACHUSETTS) – Des chercheurs du renommé MIT aux Etats-Unis ont développé une pharmacie portable de taille compacte capable de produire différents médicaments sur demande, qui selon la photo (voir à gauche) divulguée par l’institution a plus ou moins la taille d’un gros réfrigérateur. De la même façon qu’un générateur produit de l’électricité lors d’une coupure de  courant, ce système peut être facilement mis en place pour produire des médicaments utiles lors d’une crise sanitaire ou prévenir le manque de médicaments lors de problème mais aussi en cas de fermeture d’une usine de production, ont affirmé les chercheurs américains.

Pour le moment plutôt une alternative

"Il faut penser à cette pharmacie portable comme une solution d’urgence," a affirmé Allan Myerson, un professeur du département de chimie au MIT qui a mené l’étude avec deux autres scientifiques. Selon lui : "L’objectif n’est pas de remplacer la production industrielle traditionnelle, mais plutôt d’amener une alternative lors de situations particulières."

Un tel système pourrait aussi être utilisé pour produire des petites quantités de médicaments nécessaires dans des essais cliniques pour soigner des maladies rares, a affirmé Klay Jensen, également un professeur du MIT qui a participé au développement de cette machine.

Selon Jenson: "Le but de ce projet était de construire une petite unité portable totalement intégrée, avec la capacité de l’envoyer à travers le monde. Et du moment que vous avez les bons produits chimiques, vous pouvez produire des médicaments (pharmaceuticals en anglais)."

Cette étude a été publiée le 31 mars 2016 dans la version online du journal Science. Le 3ème auteur non cité ci-dessus est Timothy Jamison. L’auteur principal est Andrea Adamo, également du MIT. Cette institution est souvent citée comme étant l'une des 5 meilleures au monde, avec notamment Harvard et Stanford. 

Davantage de flexibilité dans la chaîne de production

La production traditionnelle de médicaments, également appelée en anglais "batch processing" (production de lots en français), peut prendre des semaines ou des mois. La molécule active est synthétisée dans des usines spécialisées puis envoyée vers d’autres usines afin de garantir une transformation dans la forme galénique adaptée qui sera délivrée au patient, que cela soit sous forme de comprimés, solutions ou suspensions. Ce système permet peu de flexibilité pour répondre à des situations d’urgence et peut être susceptible d’interruptions problématiques si l’une des usines de la chaîne de production doit fermer par exemple.

C'est pourquoi, plusieurs industries pharmaceutiques sont actuellement en train de regarder et mettre au point le développement d’une approche alternative appelée en anglais "flow processing", c’est-à-dire un processus continu qui peut être réalisé sur tous les sites industriels.

Armée américaine

Il y a 5 ans, les 3 scientifiques MM Jamison, Jensen et Myerson avaient travaillé sur un projet industriel financé par Novartis de type "flow processing". Ce projet étant terminé, ils ont mis leur expertise pour développer ce nouveau système portable. L’armée américaine, pour être précis le Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), a contribué au financement de ce système portable.

1000 doses par 24h

Ce nouveau système mis au point par les chercheurs du MIT permet la production de solutions et suspensions de médicaments comme la lidocaïne, la fluoxétine, le diazépam ou encore la diphenhydramine.  Grâce à cet appareil, les chercheurs sont capables de produire environ 1000 doses d’un médicament donné en 24 heures.

Le succès pour mettre au point un système continu (flow processing) repose sur le développement de réactions chimiques qui ont lieu comme réactifs de flux à travers des tubes relativement petits comparé aux énormes cuves utilisées dans les usines pharmaceutiques traditionnelles. Le flux en lot (batch processing) est limité par la difficulté à refroidir ces cuves, mais le système en flux continu permet des réactions chimiques qui produisent de la chaleur pouvant être réalisées de façon sûre.

“Dans de nombreux cas nous avons développé des synthèses de médicaments qui n’avaient jamais été réalisées sur des plateformes en flux continu,” a affirmé M. Jamison.

Les réactions chimiques nécessitent que la synthèse de chaque médicament prenne place dans les 2 premiers modules (lire ci-dessous pour mieux comprendre les modules et voir de l'appareil). Les réactions ont été conçues pour faire en sorte qu’elles aient lieu à une température inférieure à 250 degrés Celsius et une pression inférieure à 17 atmosphères.

Reprogrammation du système

En échangeant des composants entre chaque module, les chercheurs peuvent facilement reprogrammer le système de production permettant la synthèse de différents médicaments. "En quelques heures nous pouvions passer d’un composant chimique à un autre" a affirmé M. Jensen.

Dans le second module, la solution obtenue brute est purifiée par cristallisation, filtrée puis séchée pour enlever le solvant, puis dissoute ou suspendue dans de l’eau pour obtenir la forme finale prête à délivrer au patient. Les chercheurs ont également incorporé un système d’ultrason pour s’assurer que la formulation de la  solution médicamenteuse soit à la bonne concentration.

Usine à petite échelle, plusieurs avantages

L’un des avantages de ce système de petite taille est qu’il permet la production de petites quantités de médicaments qui pour des raisons de coûts seraient impossible à réaliser pour une usine industrielle classique. Cette machine pourrait être utile par exemple dans la prise en charge de maladies rares ou orphelines, car une petite quantité de médicament est souvent largement suffisante.

Il serait aussi possible de l'utiliser dans des régions avec peu de possibilité de stockage, on peut imaginer des endroits reculés. Comme les médicaments pourraient désormais être produits sur demande, le stockage de produits finis serait inutile.

Just on time

"L’idée ici que vous produisez ce que vous avez besoin, et vous faites une forme galénique simple, car ces médicaments vont être pris à la demande. Les dosages n’ont pas besoin d’avoir une stabilité à long terme" affirme M. Myerson. Autrement dit, on peut imaginer qu’avec un tel système certaines formes galéniques peu utilisées actuellement comme une solution pour raison de problème de conservation puissent être davantage privilégiées. M. Myerson termine son raisonnement : "Les personnes se manifestent, vous faites le médicament et ils le prennent."

Deuxième phase du projet

Les chercheurs du MIT travaillent actuellement sur une 2ème phase du projet, qui porte sur le développement d’une machine ou système environ 40% plus petit et sur la production de médicaments nécessitant une synthèse chimique plus complexe. Ils travaillent également sur la production de comprimés, plus difficile à synthétiser que les médicaments liquides. 

L’avenir de la pharmacie d’officine (analyse) ?

Si on fait un peu de science-fiction, ce travail de recherche pourrait ouvrir la voie au développement de certains médicaments de façon automatisée directement à la pharmacie et sur demande, grâce à une machine similaire, un peu comme l’impression 3D pour le commerce en général. Il semble toutefois que le chemin soit encore long. Il y a quelques dizaines d’années, les médicaments étaient fabriqués ou préparés directement à la pharmacie (officine), puis progressivement l’industrie pharmaceutique s’est chargée de cette mission. Peut-être s’agit-il à terme d’un éventuel retour aux sources. Les barrières restent néanmoins nombreuses, qu’elles soient techniques (l’article ci-dessus montre la difficulté à préparer des comprimés) et surtout juridiques et sécuritaires, on peut imaginer quelques difficultés avec Swissmedic pour une pharmacie suisse cherchant à préparer des comprimés de paracétamol à la pharmacie avec une telle machine. 

A retenir de cette étude (Takeaways)

- Ce système permettant la fabrication de différents médicaments n’a pas pour but de remplacer l’industrie pharmaceutique, actuellement il a comme mission d'être surtout utilisé lors de situation d'urgence

- Ce système va dans une tendance actuelle de l’industrie pharmaceutique d’effectuer une production de médicament en flux continu (flow processing) et moins en flux de lot (batch processing)

- L'avenir semble se diriger vers une production à la demande de certains médicaments, un peu comme le just in time de l'industrie automobile 

Le 6 avril 2016. Par Xavier Gruffat (pharmacien, MBA), co-fondateur de Pharmapro.ch. Sources: Communiqué de presse de l’étude (traduit et adapté de l’anglais des Etats-Unis par XG), MIT. Lien vers le communiqué de presse : http://news.mit.edu/2016/portable-pharmacy-on-demand-0331

Copyright photo : chercheurs du MIT mentionnés dans l’article (Courtesy of the researchers)

Nos abonnements pour employeurs

Découvrez toutes nos formules d’abonnement

Offres PUSH

Pharmacien/ne, Fully (VS)

Les dernières news

Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite du vendredi