Autour d’une pizza : interview avec l’un des deux co-fondateurs de Pharmapro.ch, Xavier Gruffat

Mieux comprendre l'histoire de Pharmapro.ch


ARTICLE POUR PROFESSIONNELS 
Domaine : Pharmacie, Internet
Mots-clés : Pharmapro, start-up
Niveau de difficulté de l’article : facile (sur 3 niveaux : facile, moyenne et difficile)

MONTREUX - Ce mois nous nous tournons exceptionnellement à l’interne avec une interview avec  l’un des deux co-fondateurs de Pharmapro.ch, Xavier Gruffat. Il a étudié la pharmacie à l’université de Lausanne (Bachelor) puis à l’EPF de Zurich (Master) où il a rencontré son associé Dr Patrick Eichenberger. Xavier nous raconte l’histoire de Pharmapro.ch fondé en 2008 et essaie aussi d’envisager l’avenir de l’entreprise et plus généralement les enjeux à venir dans le domaine digital. Il encourage aussi des jeunes pharmaciens à créer leur start-up dans le domaine du Big Data dans la santé. Découvrez son interview fleuve.

1. Pharmapro.ch (Van Nguyen) - Pourquoi as-tu co-créé Pharmapro avec Patrick et quels étaient les besoins des pharmacies à l’époque ?

Xavier Gruffat - La création de Pharmapro.ch s’est faite assez naturellement mais de façon non stratégique, un peu par hasard et presque naïvement. L’idée a germé en 2006-2007 et on a fondé le site en 2008. Patrick n’était pas dans la même volée que moi à Zurich (une année après moi) mais il était quelqu’un de très actif et donc on le connaissait bien dans la faculté de pharmacie. Il est plus extraverti et social que moi, j’ai un côté un peu plus nerd (ou geek) et renfermé. A cette époque quand Patrick était étudiant en pharmacie il envoyait des e-mails aux étudiants de l’EPFZ et je pense aussi à ceux de l’Uni de Bâle informant des postes disponibles en pharmacie pour des stages et pour les jeunes diplômés. Il faisait cela gratuitement et comme service pour aider les étudiants à trouver un premier emploi. Son père est pharmacien propriétaire et Patrick avait déjà un certain réseau parmi les pharmaciens de la région de Zurich et Argovie. Personnellement, je m'intéressais dès 2003 à la création de sites Internet sur la santé - j'ai créé cette année-là le site Creapharma.ch, qui existe toujours en 2017 et qui connaît un certain succès en terme d’audience (environ 500'000 visiteurs par mois) mais pas vraiment un succès financier comme la plupart des médias. Avec mes connaissances d’Internet de l’époque j'ai alors proposé à Patrick d'unir nos forces en créant un site d'offres d'emploi rassemblant toutes les offres qu’il publiait ou envoyait par e-mail. On a aussi commencé directement à viser la Suisse romande, comme j’ai grandi à Montreux (VD). Après quelques e-mails échangés (car je ne vivais plus dans la région de Zurich à ce moment, mais à Berne), je l’ai invité dans la capitale suisse et autour d’une pizza sur la Place Fédérale on a décidé de la fondation de l’entreprise, puis on a créé assez rapidement Pharmapro Sàrl (la forme juridique actuelle).  

Au début, j’ai programmé le site mais il n’était franchement pas très beau et très basique. Ensuite, année après année on s’est professionnalisé en faisant appel à une entreprise d’informatique externe pour aujourd’hui, je pense, avoir une plateforme moderne rivalisant avec les autres sites d’offres d’emploi en Suisse. Bien sûr on peut toujours encore améliorer certains aspects de Pharmapro.ch.

Par rapport aux besoins que tu soulèves dans ta question (même si par la suite en 2011 j'ai fait un MBA), j'ai commencé à lire de nombreux livres de business, surtout américains pour mieux comprendre le marketing et la stratégie. En 2006 ou 2007, à la sortie de mes études de pharmacie je réalise que je n’avais vraiment pas de connaissances et de culture économique. Mais avec le recul c’est peut-être aussi ce qui a fait notre force, de commencer sans trop d’ambition, on dira qu’on n’avait pas de pression venant d’investisseurs comme des business angels ou venture capitalists (VC) qui parfois mettent un gros stress sur une start-up comme c’est notamment le cas à la Silicon Valley.

2. Peux-tu nous parler du monde de l’emploi dans les pharmacies d'officine en Suisse ?

Je vois tout d’abord des différences entre la Suisse romande et la Suisse allemande. En Suisse romande on a beaucoup de demandes d’emploi et CV (actuellement plus de 280 sur le site) mais moins d’offres d’emploi, en Suisse allemande c’est plutôt le contraire. Cela montre qu’en Romandie les pharmacies ont probablement de la facilité à trouver un/e pharmacien/ne ou assistant/e en pharmacie surtout dans les régions urbaines, c’est plus compliqué dans certaines vallées comme en Valais. Au contraire, en Suisse allemande le marché est plus tendu, les pharmacies ont donc un peu plus de peine à recruter ce qui est dans l’intérêt des candidats, car ils ont le choix.

A ma connaissance, il n’existe pas de statistiques ciblées sur le taux de chômage des professions de la pharmacie, mais seulement sur la population générale. On sait qu’il y a un peu plus de chômage en Suisse romande qu’en Suisse allemande, cela serait une explication possible à ces différences. Mais j’ai aussi remarqué que sur Pharmapro.ch nous avons plus de candidats Français cherchant à travailler en Suisse romande que de candidats Allemands voulant travailler en Suisse allemande.

Il faut aussi savoir aussi que dans la culture germanique, certains historiens estiment qu'à cause du communisme et du nazisme, les personnes sont plus réticentes et méfiantes à déposer leurs données comme un CV sur un site Internet comme Pharmapro.ch, c’est peut-être une autre explication possible de ces différences culturelles.  

Finalement au Tessin, nous n’avons jamais vraiment eu de succès, peut-être que le marché est trop petit ou tout fonctionne par bouche à oreille. C’est notre rêve un jour d’être plus actif au Tessin voire peut-être en Italie, car nous avons une version en italien du site (www.pharmapro.ch/it) et nous avons beaucoup investi en frais de traduction.

3. Quelle valeur ajoutée apporte Pharmapro.ch aux gérants (y compris les départements RH par exemple des chaînes de pharmacie) et propriétaires d’officine ?

Bon je pense que ce n’est pas vraiment à moi ou Patrick de répondre, à la fin dans l’économie de marché (capitalisme) c’est le client qui décide et c’est plutôt la perception qu’ont nos clients de Pharmapro.ch qui compte ; le service qu’on leur rend. Je trouve la phrase d’un cadre de Google intéressante affirmant que l’internaute est toujours à « un clic de visiter un autre site ». Effectivement un internaute peut visiter Google.ch puis un jour changer pour Bing.ch, comme il peut visiter Pharmapro.ch puis un autre site. Tout peut vite changer sur Internet.

Mais si je devais amener quelques éléments de réponse, je dirais que nous essayons toujours de résoudre rapidement les problèmes soulevés par nos clients. Si par exemple une fonction (feature) n’est pas claire, on travaille avec l’équipe informatique pour améliorer ce qu’on appelle la User Experience (UX). Je peux me montrer parfois casse-pied en mettant la pression sur certains employés ou fournisseurs pour atteindre un niveau d’excellence. Je pense aussi que si on a des centaines de clients chaque année qui travaillent avec nous c’est parce que Pharmapro permet aux employeurs de recevoir plusieurs CV de qualité. Ensuite ils peuvent faire le meilleur choix pour le nouveau collaborateur qui rejoindra la pharmacie.

4. Vois-tu d’autres besoins clients et comment les combler ?

Je pense que la tendance actuelle, et on le voit avec le succès d’Amazon (ex. AWS) ou Google (ex. Drive), c’est d’aller toujours plus dans des services de clouds (nuages). C’est-à-dire d’avoir les données stockées sur un autre serveur ou ordinateur plutôt que par exemple à la pharmacie. Il peut s’en suivre des innovations sur l’analyse de ces données stockées à distance. Sans vouloir être un peu trop pompeux, je pense que le « Big Data » et son analyse peuvent être des innovations intéressantes aussi pour les pharmacies d’officine et pas seulement pour IBM ou Google. Qui sait, peut-être un jour les pharmacies engageront des informaticiens ou analystes de données (data scientist) sur la santé des patients.

Dans le futur, en plus des médicaments chimiques qui continueront bien sûr à être délivrés en officine, le pharmacien pourrait devenir aussi toujours plus un « coach santé ». Une partie de son travail serait justement d’analyser des données médicales récoltées à la pharmacie ou chez le médecin.

Je ne suis pas sûr que Pharmapro Sàrl ait les capacités de satisfaire ces besoins en tout cas maintenant, mais ce sont des idées aussi pour des jeunes diplômés de pharmacie qui aimeraient fonder une start-up. J’aime bien la définition de la start-up comme une entreprise à haut risque, dans ce domaine les risques sont bien sûr très élevés. Si je réalise cette interview c’est aussi pour donner envie à des jeunes pharmaciens de créer leur entreprise (start-up), je pense qu’il y a de belles opportunités actuellement dans l’intelligence artificielle, pensez par exemple à ce que fait IBM avec son projet « Watson » en passant au crible des centaines de milliers d’études sur le cancer pour aider les oncologues. Et je pense le meilleur âge pour fonder une start-up est avant 30 ans, car après on commence à désirer un certain train de vie, certains fondent une famille, ont un crédit hypothécaire et peu de gens âgés de plus de 30 ans acceptent de vivre avec CHF 3'000.- par mois ou moins et parfois même sans se mettre de salaire sur une longue période (au début surtout).

Finalement je pense que le succès de toute entreprise ou start-up active dans le « digital médical » (en anglais aussi qualifié de digital health) passera par une bonne relation avec les assureurs et les médecins. Cela signifie créer des produits avec des interfaces intuitives (on parle aussi d’API) pour tous les acteurs de la santé : pharmaciens, médecins, assureurs (payeurs) et arriver à positionner le patient au centre de l’équation bien sûr. Rock Health, basé à San Francisco (CA) est une structure qui fait un bon travail dans ce domaine en aidant les start-up du domaine de la santé digitale. Ce serait bien qu’un jour une structure similaire naisse en Suisse à Bâle, Genève ou Zurich.

5. Quelles sont les nouveautés que Pharmapro va proposer à ses clients ?

Nous sommes heureux de lancer un nouveau service appelé PharmaproRH. Comme son nom l’indique, PharmaproRH (Ressources Humaines) permet à une pharmacie de mieux gérer son personnel.

Sur PharmaproRH la pharmacie peut introduire en ligne directement sur le site Pharmapro.ch le nom et prénom des employés, la date de naissance (pour calculer l’anniversaire), la date d’entrée en fonction dans l’entreprise, le nombre de semaines de vacances, le no d’AVS, le salaire de l’employé si désiré, la formation continue passée et future, le nombre de jour de maladies, etc.

Grâce à PharmaproRH le pharmacien propriétaire ou gérant a un bon aperçu de son équipe. Par exemple à chaque anniversaire d’un employé il peut recevoir un e-mail sous forme d’alerte (notification) 7 jours et 1 jour avant pour ne pas oublier de le féliciter et peut-être acheter quelques croissants pour la pause. PharmaproHR devrait évoluer en fonction du retour et des besoins des clients (n'hésitez pas à nous contacter pour nous faire part de vos idées, remarques ou critiques).

Cet outil est particulièrement utile pour les pharmacies de taille moyenne et grande, avec notamment beaucoup de temps partiels et une difficulté à toujours bien avoir un aperçu de toute l’équipe de la pharmacie, il s'agit d'un vrai outil de gestion pratique.


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6. Pendant toutes ces années, as-tu fait des erreurs ?

Oui bien sûr. Je passe mes journées à m’occuper principalement de 2 sites Internet : pharmapro.ch et creapharma.ch, respectivement un site pour les pharmacies et un site grand public sur la santé. Pharmapro.ch m’appartient à 50% et je gère donc quotidiennement les affaires courantes et la stratégie avec Patrick (mon associé). Le fait de gérer à deux nous donne probablement plus de stabilité surtout à long terme. Par contre sur Creapharma.ch, site dont je suis l’unique actionnaire, j’ai fait beaucoup d’erreurs de stratégie avec notamment des projets mal conçus. Par exemple j’avais pendant quelques années une version en russe de Creapharma mais le site n’a pas connu de succès, le trafic du site n’a pas décollé et les coûts de traduction étaient trop élevés. J’ai donc dû prendre la décision de le fermer malgré des milliers de francs investis. Oui en 15 ans bientôt d’entreprenariat sur Internet (j’ai 37 ans) j’ai accumulé beaucoup d’erreurs, et parfois je me demande comment j’ai fait pour être toujours là en 2017. Il faut savoir que tous les projets que je mène (ou qu’on mène avec Pharmapro Sàrl) sont auto-financés (les Américains parlent de bootstraping) et sans accumulation de dettes. On n’a donc pas le droit à l’erreur financièrement et il ne faut pas compter sur les banques pour prêter dans ce domaine à risque.

Bref, dans un monde complexe comme Internet, il est à mon avis conseillé de gérer une entreprise avec au moins 2 personnes à la direction. Il faut aussi beaucoup lire (ex. Techcrunch.com, The Wall Street Journal ou d’autres médias de niche) pour toujours rester au courant des dernières nouveautés dans le domaine technologique et économique, c’est-à-dire absolument maintenir une curiosité.

7. Pharmapro fêtera en février 2018 ses 10 ans, comment voyez-vous son avenir ?

J’admets être assez confiant, car l’Internet (accédé aussi toujours plus par smartphone) est à mon avis là pour durer, Google Glass qui aurait pu changer un peu les règles du jeu n’a par exemple pas connu de succès. Quand je parle de confiance, je parle de ces 5 prochaines années, car tout change vite et viser 2022 est déjà bien. Nous allons essayer ces prochaines années de développer une application pour Apple et Google (Android) afin de mieux servir nos clients, autant les employeurs que les candidats. Nous aimerions aussi nous développer plus à l'international notamment au Brésil (nous avons déjà un site qui se nomme farmavagas.com.br) et en France (Pharmajob.fr), peut-être aussi en Autriche car ce pays ressemble beaucoup à la Suisse.   

Notre objectif est d’être toujours davantage customer-centric (centré sur les besoin des clients), c’est-à-dire développer des fonctions qui plaisent uniquement aux clients.  

Bien sûr tout entrepreneur a peur de l’ « effet Kodak » (cette grande entreprise américaine qui a fortement diminué son nombre d’employés suite à l’arrivée du digital dans la photographie). A nous de rester vigilants pour imaginer l’avenir du recrutement dans le domaine des pharmacies d’officine. On espère pouvoir continuer encore de nombreuses années à aider les pharmacies suisses dans leur recrutement et leur gestion des ressources humaines (ex. PharmaproRH).  

Mis à jour le 26 septembre 2017. Interview réalisée par e-mail par Van Nguyen entre juillet et août 2017. Cette interview a été éditée par Van Nguyen et Xavier Gruffat pour en faciliter la lecture. Dr Patrick Eichenberger a également supervisé cette interview. Mme Christine Gruffat a corrigé l’orthographe et la grammaire.

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