Un nouveau ligand prolonge la durée de vie de médicaments peptidiques


Les peptides sont des molécules biologiques, constituées de courtes séquences d'acides aminés. Comme ils sont faciles à synthétiser, qu'ils présentent une toxicité faible et une grande efficacité, les peptides tels que l'insuline et d'autres hormones peuvent être utilisés en tant que médicaments. Toutefois, les peptides sont rapidement éliminés par les reins, ce qui a pour conséquence que nous ne pouvons utiliser que des médicaments peptidiques qui agissent en l'espace de quelques minutes. Ce problème peut être surmonté en connectant les peptides à des ligands qui lient les protéines du sérum sanguin, telles que l'albumine, permettant ainsi au peptide de subsister plus longtemps dans le système sanguin. Des scientifiques de l'EPFL viennent de développer un tel ligand, qui est facile à synthétiser et présente une affinité élevée pour l'albumine humaine. Publié dans Nature Communications, le nouveau ligand peut potentiellement augmenter la demi-vie des peptides de quelques minutes, à plusieurs jours.

Les peptides présentent de nombreuses caractéristiques favorables pour les médicaments: toxicité et réactions immunitaires faibles, affinité et efficacité élevée pour leurs cibles, et synthèse chimique accessible. Le seul problème est le «clairance rénale»: en général, les peptides sont évacués par les reins en l'espace de quelques minutes après leur irruption dans le sang du patient. Par exemple, l'un des peptides les plus courants, l'insuline, a une demi-vie dans le sang de 4 à 6 minutes seulement. Une autre hormone, l'oxytocine - administrée par voie intraveineuse pour provoquer ou accélérer l'accouchement - a une demi-vie de 10 à 15 minutes.

Un laps de temps aussi court, imposé par la clairance rénale, limite sévèrement le potentiel thérapeutique de ces médicaments, potentiellement idéaux. Une piste prometteuse en vue d'accroître la demi-vie des peptides est de les attacher sur des protéines du sérum sanguin, telles que l'albumine, qui est la protéine la plus abondante dans le sérum sanguin, et jouit d'une demi-vie de 19 jours. Pour ce faire toutefois, on a besoin d'une molécule ligand intermédiaire pouvant être attachée au peptide pendant la synthèse, et qui de plus présente une affinité et une sélectivité élevées pour l'albumine humaine.

Un ligand facile à attacher au peptide

Le laboratoire de Christian Heinis à l'EPFL vient de développer un tel ligand, qui dispose d'une affinité élevée pour l'albumine humaine et - très important - est facile à synthétiser et à attacher au peptide. Le ligand est créé en fusionnant un acide gras avec un autre peptide. La molécule résultante est qualifiée de «chimère», et combine le meilleur de deux mondes du domaine des ligands de l'albumine.

Des tentatives antérieures ont construit des ligands soit sur des acides gras, soit sur des peptides, et les ont testés sur l'insuline. Mais même si les acides gras augmentaient quelque peu la demi-vie de l'insuline, d'une manière générale ils ne liaient pas très fortement l'albumine. D'autre part, les ligands basés sur les peptides liaient bien l'albumine, mais présentaient une faible solubilité, ce qui signifie qu'ils ne distribuaient pas très bien l'insuline dans le sang.

Le nouveau ligand rassemble littéralement les avantages et des acides gras, et des peptides. Les chercheurs se sont mis à la recherche d'une séquence d'acides aminés capables de pallier la faible liaison des acides gras avec l'albumine. Au moyen d'une synthèse «itérative» et d'une méthode de criblage élégante, ils ont découvert une séquence de peptide qui accroît de 27 fois la liaison de l'acide gras. Le ligand chimère final lie l'albumine humaine avec une affinité élevée (Kd = 39 nM), il est hautement soluble, et peut être attaché à des médicaments peptidiques au moyen de techniques de synthèse standard.

Les chercheurs ont démontré in vivo que le ligand prolonge la demi-vie de plusieurs peptides bioactifs de plus de 25 fois. Puis ils ont attaché le ligand à un peptide réel développé pour traiter la thrombose pathogène, connu pour avoir une demi-vie très courte et donc notoirement peu fonctionnel. On a pu montrer que le ligand avait augmenté l'efficacité du peptide de plusieurs heures, inhibant la maladie chez le lapin.

Des perspectives pour l'industrie et la recherche

«Nous espérons que les résultats présentés dans notre travail intéresseront une large audience dans les domaines de la recherche et de l'industrie, parce qu'elle est applicable virtuellement à n'importe quelle fraction peptidique, y compris les petites protéines», dit Heinis. «Le ligand peut être attaché à n'importe quel peptide pendant la synthèse de peptides en phase solide sur des synthétiseurs standards, ce qui le rend facilement accessible pour les laboratoires académiques et industriels».

Cette technologie innovante pourrait potentiellement être utilisée aussi pour moduler les propriétés pharmacocinétiques de peptides bicycliques développés par Bicyclic Therapeutics, une start-up co-fondée en 2009 par Christian Heinis et Sir Greg Winter (MRC LMB Cambridge, UK), et dont l'EPFL est actionnaire. Au 1er juin de cette année, Bicyclic Therapeutics a reçu un investissement de série B de 52 millions de dollars US. L'objectif de la société est une plateforme de production de peptides bicycliques (Bicycle®), qui combine les propriétés de plusieurs entités thérapeutiques en une seule modalité: montrer l'affinité et la pharmacologie sélective associées avec des anticorps; la cinétique de distribution de petites molécules, qui permet une pénétration rapide dans les tumeurs; et la demi-vie pharmacocinétique et la clairance rénale «modulables» des peptides.

Communiqué de presse de l'EPFL, 17 juillet 2017 - Photo d’illustration : Fotolia.com

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