Vaccination Covid-19 : interview avec plusieurs pharmaciens suisses qui se préparent à vacciner

Les pharmaciens se disent prêts et motivés


MONTREUX / LENZBURG - Seulement 3% de la population suisse était vaccinée contre la Covid-19 le 2 février 2021. Pour atteindre les 70 à 80% de personnes vaccinées - le taux permettant une immunité collective vaccinale comme l’expliquait le célèbre immunologue américain Dr Anthony Fauci à CNN le 1er février 2021 – il y a encore beaucoup de travail. Aux États-Unis les pharmaciens américains seront fortement mis à contribution, comme Pharmapro.ch en a parlé dans un article. Le 2 février 2021 on a appris que le gouvernement américain va commencer à livrer les vaccins Covid-19 directement aux pharmacies du pays, cette distribution américaine commencera le 11 février 2021.  Si des variants continuent à se développer, il faudra injecter peut-être une 3ème dose sous forme de booster. Le rôle des pharmaciens suisses peut donc s’avérer crucial dans ces prochains mois afin de vacciner toute la population. Pharmapro.ch a pu interroger plusieurs pharmaciens romands pour connaître leurs visions à ce sujet.

Différences cantonales

La vaccination en pharmacie est régulée par les autorités de santé, notamment cantonales (voir sur ce site : https://vaccinationenpharmacie.ch/). Dans le canton de Vaud, la pharmacienne Van Nguyen – gérante à la pharmacieplus du Rhône et du midi à Aigle (VD) – expliquait à Pharmapro.ch début février 2021 : « Actuellement, nous nous préparons à cette vaccination [contre la Covid-19] en pharmacie. Je suis la seule pharmacienne qui peut vacciner. Une autre collègue pharmacienne a fini sa formation, elle attend encore l'autorisation de la pharmacienne cantonale. On va également former deux assistantes en pharmacie pour le geste de la vaccination. Elles pourront vacciner sous ma responsabilité si la pharmacienne cantonale donne son approbation. » Mme Nguyen a déjà l’habitude de vacciner, car depuis 2016, sa pharmacie vaccine régulièrement contre la grippe et les tiques. Dans le Canton de Vaud, il est également possible de vacciner contre les hépatites A et B (pour les rappels) et la rougeole. Le 22 janvier 2021, le gouvernement vaudois estimait dans un communiqué que des discussions étaient en cours avec les pharmaciens afin de les intégrer dans le dispositif dès que les vaccins seront disponibles en quantité suffisante. Dans le canton d’Argovie, la vaccination en pharmacie est récente, elle a été autorisée seulement depuis octobre 2020 comme l’explique Dr Patrick Eichenberger, propriétaire de la Stern Apotheke AG à Lenzburg (AG). Il devra se former pour être capable de vacciner dans sa pharmacie en temps voulu.

Défi à relever, mais prêts

La vaccination contre la Covid-19, notamment avec les vaccins à ARN (Pfizer/BioNTech et Moderna), nécessite une bonne formation et doit suivre un protocole strict, que cela soit en termes d’hygiène, de respect de la chaîne du froid ou de gestion des effets secondaires. Pour le pharmacien Dr Hugo Figueiredo, qui possède 4 pharmacies du groupement pharmacieplus dans les cantons de Berne (ex. pharmacieplus du vallon) et Genève : « La vaccination contre la Covid-19 est certes un défi, mais techniquement rien n'empêche que nous y participions, et je tiens à le préciser, quel que soit le vaccin que nous aurions à administrer et les particularités de celui-ci. ». Interrogé début février 2021 par Pharmapro.ch, il poursuit : « La gestion de la chaîne du froid fait partie de nos compétences (elle est exigée pour de nombreux médicaments) et souvent, les vaccins sont livrés par l'armée à quelques kilomètres de nos officines, pourquoi pas dans nos locaux ? ». On a appris le 3 février 2021 que dans le canton de Berne les pharmacies seront autorisées à vacciner dès le 10 février 2021, pratiquement ce sera plus tard dans l'année car il y a un manque de vaccins.

Le pharmacien Julien Wildhaber, de la Pharmacieplus du Bourg Marin SA à Marin (NE) se dit aussi prêt, car cela fait quelque temps qu’il se prépare avec son équipe. Il a commandé un nouveau réfrigérateur médical avant Noël 2020 et s’est équipé de logiciels notamment de prise de rendez-vous. Il précise à Pharmapro.ch : « Comme toujours, il y a aura quelques ajustements à faire une fois la partie pratique lancée, pour optimiser nos ressources tant humaines que logistiques. » M. Wildhaber explique aussi qu’ils vaccinent déjà très régulièrement leurs patients, notamment contre la grippe et l’encéphalite à tiques. Ainsi cumulées, les doses administrées juste à présent (hors Covid-19) représentent plus d’un acte par jour.

La blogeuse à succès et pharmacienne suisse alémanique de la région de Bâle Pharmama relève : « Dans ma pharmacie, tous les pharmaciens sont formés pour faire des vaccins, nous disposons d'une salle séparée pour cela et pour l'équipement. »

Risque d’allergie, pharmaciens bien formés

La principale préoccupation est probablement une grave réaction allergique du patient (choc anaphylactique), à ce sujet le pharmacien Hugo Figueiredo se veut rassurant pour la population générale : « Nous avons une excellente formation de base universitaire et nous l'avons élargie depuis plusieurs années avec toutes les formations complémentaires nécessaires nous permettant d'assumer pleinement et dans des conditions de sécurité optimales le risque éventuel de choc anaphylactique. À noter que celui-ci semble à ce jour bien moindre que pour les allergies alimentaires ou les allergies à d'autres médicaments, comme par exemple aux anesthésiques. » M. Figueiredo administre déjà dans ses pharmacies tous les vaccins pour lesquels ils sont autorisés à le faire selon les réglementations cantonales.

Mme Nguyen explique aussi : « Dans le cursus, nous avons eu des cours théoriques et des cours pratiques sur la vaccination, mais également des cours de réanimation (BLS). Pour pouvoir garder cette compétence, nous devons suivre des formations continues tous les deux ans. »

La pharmacienne Pharmama (nom connu de notre rédaction) précise de façon intéressante : « La formation contre les réactions allergiques après une injection est incluse dans l'enseignement (en allemand "FPH Impfen und Blutentnahme"). Nous devons également prévoir une formation complémentaire - tous les deux ans. Dans la salle où nous faisons les vaccinations, nous avons des stylos à adrénaline, un spray contre l'asthme et des comprimés antiallergiques. Certains ont aussi de l'oxygène à donner, nous n'en avons pas, car dans notre canton ce n'est pas une obligation et les services d'urgence ont tendance à être là en quelques minutes. Les réactions allergiques graves, comme le redouté choc anaphylactique, sont également très rares - environ un cas par million de vaccinations en général (avec Covid, les rapports semblent se situer entre 0,25 et 1 pour 100 000 vaccinations). La plupart des cas peuvent également être "attendus", ce qui signifie que ces personnes ont déjà eu des réactions allergiques à un vaccin (ou à un ingrédient d'un vaccin).

Temps à disposition en officine

Comme avec les tests de dépistage (PCR ou antigène), il peut y avoir le risque de mobiliser toute la journée le pharmacien qui aura par conséquent moins le temps d’effectuer les tâches quotidiennes comme la validation d’ordonnance. Van Nguyen pense effectivement que ce travail de vaccination sera très prenant, car les doses ne sont pas stables : elles doivent être injectées dans les 6 heures après avoir été préparées. Le pharmacien qui vaccine sera complètement absorbé par cette tâche de 8h à 13h30. Pour elle, le défi réside dans cette logistique surtout. Dans sa pharmacie elle a la chance que plusieurs pharmaciennes travaillent en même temps. Selon Van Nguyen, cette équipe de pharmaciennes permet de relever ce défi de la vaccination.

Le pharmacien neuchâtelois Julien Wildhaber peut aussi compter sur une grande équipe de pharmaciens (H/F), car depuis 2 ans, l’équipe de sa pharmacie a été restructurée à la hausse en ajoutant un poste de pharmacien (H/F). Il a actuellement 5 pharmaciens correspondant toujours à environ 3,5 postes à temps complet. Grâce à une bonne organisation, il est prêt à affronter la demande de la vaccination Covid-19. Il note aussi de façon intéressante que dans la situation actuelle (pandémie), certaines activités ont perdu en importance et d’autres activités se développent. Cela permet de libérer du temps pour la vaccination.

Hugo Figueiredo relève qu’en aucun cas ces nouveaux services ne viendront diminuer la qualité de ses services de base que sont principalement la remise des médicaments sur ordonnance et les triages et conseils en automédication. Le pharmacien du Jura bernois explique que lorsque c'est possible, ils planifient déjà chaque jour plusieurs pharmaciennes (H/F) par pharmacie, c'est un choix stratégique depuis de nombreuses années. Mais indépendamment de cela, la pharmacienne (H/F) n'a pas besoin d'être mobilisée en permanence pour ces nouvelles activités.

La pharmacienne Pharmama relève un point intéressant en estimant que la vaccination sera moins chronophage et problématique que les tests PCR, où les personnes (patients) probablement infectées doivent être testées et tenues éloignées de toute autre personne et doivent se protéger spécialement pour cela. Il est très probable que sa pharmacie définisse les heures pendant lesquelles ils feront les vaccinations (lorsque plusieurs pharmaciens sont présents), qu'ils fixeront des rendez-vous et donc n'autoriseront pas les visites sans rendez-vous.

Assistantes en pharmacie

Aux États-Unis Walgreens prétend engager 25'000 personnes (plus de 2 personnes par pharmacie en moyenne) pour administrer le vaccin ou les vaccins anti-Covid. En Suisse la question se pose sur la possibilité d’engager du personnel en plus, probablement de façon temporaire (CDD), si une vaccination de masse devait avoir lieu dans les pharmacies suisses. Les assistantes en pharmacie pourraient être un précieux soutien en cas de demande élevée de vaccination. Van Nguyen pense que les assistantes en pharmacie pourraient être mises à contribution : « Nous commençons à former des assistantes en pharmacie pour la vaccination. Elles pourront vacciner sous la surveillance d'un pharmacien ayant cette compétence. L'idéal serait qu'il y ait plus de centres de vaccination qui ne s'occuperaient que de cela. »

Hugo Figueiredo va dans le même sens et explique que pour la vaccination, des discussions sur la possibilité que les assistantes en pharmacie après une formation ad hoc, puissent vacciner sous la responsabilité des pharmaciens ont lieu en ce moment.

Ressources utiles :
https://vaccinationenpharmacie.ch/
https://www.pharmawiki.ch/wiki/index.php?wiki=mRNA-1273

Merci aux pharmaciens qui ont répondu à nos questions.

Article mis à jour le 3 février 2021. Par Xavier Gruffat (pharmacien). Relecture : Seheno Harinjato. Sources secondaires : The Wall Street Journal, CNN, 20 Minutes, RTS.

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