La "falaise des brevets" fait trembler l'industrie pharmaceutique
ZURICH - Les années à venir s'annoncent périlleuses pour l'industrie pharmaceutique. Elles seront marquées par l'expiration des brevets de nombreux médicaments phares. Les entreprises suisses n'y échapperont pas, mais sont bien positionnées pour affronter la tempête.
Appelé "patent cliff", littéralement en français "falaise des brevets", le phénomène frappera l'industrie de plein fouet en 2012 et 2013. Une fois le brevet pour un médicament tombé dans le domaine public, la porte est ouverte à la concurrence des génériques.
Cette bonne nouvelle pour les consommateurs, qui auront accès à des traitements moins coûteux, se traduira par des baisses de revenus chiffrées en milliards pour la branche.
A titre d'exemple, les ventes américaines de l'anticholestérol Lipitor, du laboratoire américain Pfizer, dont la patente expire en novembre aux Etats-Unis, devraient chuter de 5,3milliards en 2010 à 45 millions en 2015, estime le cabinet londonien Evaluatepharma.
Le cap sera d'autant plus difficile à passer que les exigences des autorités pour l'homologation de nouveaux produits sont plus hautes qu'auparavant. Au niveau mondial, la croissance du chiffre d'affaires des médicaments sur ordonnance pourrait ainsi être amputée de moitié à l'horizon 2015, selon une étude du cabinet IMS Health.
Diversification et innovation
En Suisse, Novartis perdra d'ici 2013 sa licence pour le Diovan, un produit contre l'hypertension qui a contribué à hauteur de 6 milliards de dollars (5,4milliards de francs) à son chiffre d'affaires de 2010, sur les marchés européens, américains et japonais. Le brevet du Glivec, un autre de ses "blockbusters", expirera entre 2014 et 2016 sur ces mêmes marchés.
De son côté, Roche verra les patentes de ses trois principaux médicaments, les traitements oncologiques MabThera/Rituxan, Avastin et Herceptin, arriver à terme entre 2014 et 2019 en Europe et aux Etats-Unis. Ils représentent à eux trois la moitié des ventes du groupe pour 2010, soit 8,4 milliards de francs.
Mais "en comparaison avec leurs concurrentes, les firmes suisses seront moins touchées", indique Luis Correia, analyste chez Clariden Leu.
La raison? Grâce à Sandoz, sa division générique, Novartis va profiter des pertes de patentes des autres entreprises pharmaceutiques. "Cela ne sera pas assez pour compenser la baisse des revenus du Diovan mais permettra d'en affaiblir l'impact". Le rachat du groupe ophtalmologique Alcon va également l'aider à surmonter cette phase difficile.
Novartis s'est par ailleurs montrée très active dans l'innovation et le lancement de nouveaux produits. "Son portefeuille de produits en développement ou juste lancés sur le marché est très conséquent. Le groupe pourra facilement contrebalancer la perte du Diovan. Il a plusieurs potentiels blockbusters dans son pipeline" note Odile Rundquist, analyste pour la maison de courtage Helvea.
Erosion plus lente
La situation de Roche est différente. Outre le fait que la vague devrait la frapper plus tard, sa particularité réside dans ses produits. Les trois traitements oncologiques bientôt exposés sont biologiques, et non chimiques, ce qui les rend beaucoup plus difficiles à copier.
"Il s'agit d'une science plus complexe, pour laquelle les autorités de santé sont très exigeantes. Se lancer sur ce marché nécessite de grands investissements. Il y devrait donc y avoir moins de concurrence", note Luis Correia.
Les experts estiment que le chiffre d'affaires pour un produit chimique dont le brevet expire recule de 80% à 90% en deux ans. Pour les produits biologiques la baisse est plutôt de l'ordre de 30% à 50%.
"L'érosion sera plus lente. La direction de Roche est très confiante mais les incertitudes sont nombreuses. Le groupe est moins diversifié et dispose d'un pipeline moins clair que Novartis", note Odile Rundquist. Luis Correia souligne pour sa part que Roche reste numéro un dans la recherche de traitements contre le cancer.
ATS, 21 octobre 2011